La nuit de Zée fut courte et houleuse. Il vit une silhouette sombre se dessiner, un objet court et pourtant effilé à la main, elle semblait danser au dessus d’un corps sans vie. Quel terrible rituel pouvait avoir eu lieu ? Que voulait dire cette danse macabre?

Plongeant dans le portail qu’il avait ouvert la veille, Zée fut à son arrivée, presque étonné de voir Rurn se tenir à quelques encablures de lui. Son teint encore plus blafard qu’à l’accoutumée ne laissait présager rien de bon…

Durant la nuit, les rêves de Zée avaient repris de plus belle mais de manière moins intense, moins oppressante sans doute cette fois-ci, comme si la proximité relative de Rurn avait su apaiser quelque chose en lui… Il distingua clairement la forme adipeuse de son padré, le vieux Zongo attablé à son bureau dans la Mairie T.R.O.L.L.S.. Comme à son habitude, le vieux sage était en train d’annoter un gros registre poussiéreux. Comme chacun doit sans doute le savoir, les T.R.O.L.L.S. sont connus pour leur entêtement sans borne, leur côté extrêmement procédurier et leurs archives qu’ils tiennent avec une rigueur qui friserait presque la maniaquerie.

Zée s’approcha  doucement du bureau et par dessus l’épaule de son aïeul, découvrit, une écriture gracile, des pattes de mouches. Le grimoire s’intitulait « R'GISTRE DES RANCOEURS, comp'lation d'skriminels, d'nobliots et auts'assombris d'bulbe » et il était ouvert à la lettre « M ». Il eut un petit peu de mal à déchiffrer… 

Le grimoire se referma lourdement et Zée se réveilla en proie à une certaine nostalgie. Il semblait que la migraine des jours précédents lui accordait un léger répit. Il regroupa rapidement ses effets, et reprit la route pressant le pas pour rejoindre son compagnon. Suite à sa lecture nocturne, un embryon d'idée était en train de germer dans son mononeurone…

Pénétrant dans l’antre de l’antrolliquaire, Zée aperçut Rurn affalé piteusement dans un coin et lui adressa un clin d’œil discret mais complice et déclama peut-être un peu trop dramatiquement : « Hola Martok ! Y’ai fait oun long camino por té rencontrer ! ».

« A brai dire SENOR Martok, oun poco des dos…

Yé connais por ma part l’emplacément d’oun obyet oun poco encoumbrant, si vous boyez cé qué yé veux dire… Oune stèle dé la Sombré Alliancé…

Cetté pièce bieille dé houit cyclés est oune sorte dé monumiento commémoratif. Il est lié à ouna grande bataillé y on peut y lire clairement lé nom dé héros d’antan tombés au champ d’horréur… Léurs nom est gravé dans lé sang, béaucoup, BEAUCOUP dé sang… Des Martyrs en sommé … Oun obyet dé sinistré mémoiré...» 

Zée ne mentait pas, cette pièce existait bel et bien, mais il ne disait pas toute la vérité... Il espérait  provoquer une réaction chez son interlocuteur dont il connaissait à présent la nature trouble. Il le dévisagea avec un air de défiance, plongeant longuement son regard dans son œil, unique…

Après une nuit de repos, Rurn commençait à retrouver ses esprits.

Du Kibrille çà doit pouvoir se trouver... si tu nous disais de quelle taille tu as besoin Martok ?

Rurn éprouvait maintenant une drole de sensation... les jambières contrairement à ce qu'il pensait ne le faisait plus souffrir... plus exactement... elles semblaient se nourrir de sa douleur...

Zée s’approcha lentement de la porte qui venait de se refermer et cogna délicatement : « Toc ! Toc ! ».

« Martok ?, Maaartooook ?" appela-t-il de sa voix la plus douce, "Y’ai peut-êtré oublié dé lé préciser yé m'en excousé... La pièce en question est l’œuvré d’oun Gros, dou coup los nombrés qui figourent dessous risquént dé mettré pas mal dé tiempo avant dé s’effacer…. Houit cyclés qu’il est là et on y lit commo al prémier your… Ah oui, yé peux librer aussi, pienso qué ça pourrait aboir ouné certaine gueulé dévant ta boutiqué… Tou né pensés pas ? ».

...

"Allez, oubré cetté puerta y discoutons ploutôt dés modalidés dé la transactionne..."

Déterminé à ne rien lâcher, Zée se tenait toujours devant la porte close. Il montait la garde mais sa vigilance finit tout de même par se relâcher et il sombra dans un profond sommeil…

Lui apparut alors assez clairement l’image d’une machinerie complexe, un mécanisme tortueux faits de pièces un peu disparates et bidouillées avec soin. Une main d'une finesse peu commune mue par une force étrange était en train de griffonner frénétiquement sur un gros grimoire vierge. Au milieu de tout ce fatras trônait un œil… Dans l'ombre se tenait une silhouette massive de laquelle émanait une aura mi-amusée, mi-bienveillante, mi-inquiète.

Tournicoton!