Il y a ces voix en nous, ces esprits, ceux que nous appelons nos Fàntômés.
Depuis que nous avons accepté d’être leurs hôtes, ils se sont toujours manifestés sous la forme de présences qui marchent à nos côtés, qui arment nos bras, attisent le feu dans nos esprits et guident nos pas. Mais récemment les choses ont changé.
Les murmures froids avec lesquels ils nous parlaient se sont transformés en cris inintelligibles…
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Je ne sais combien de jours ont passé ainsi. Harcelé par la voix, j’ai erré, croyant avoir définitivement perdu l’esprit. Puis peu à peu le tumulte a cessé. La tristesse de mon Fàntômé semble s’être apaisée. Il ne crie plus après ses frères disparus.
Lentement, les visions qu’il avait l’habitude de me transmettre ont recommencé. Ce furent d’abord des flashs indéfinis, une pièce, des outils posés ici et là, et finalement l’image s’est précisée : celle d’un laboratoire. Lorsqu’il me fait partager cette vision, le Fàntômé chuchote un nom, qui revient sans cesse, lancinant : Méntàhàl là Màûdïté.

C’est le nom d’une cité. Mais existe-t-elle encore ? Le chemin qui y mène demeure obscur... Pourtant je sens confusément que c’est là que je dois aller, et je suppose que tous les autres hantés, ceux qui accueillent en eux un Fàntômé, ont ressenti la même chose.

Il est temps de nous réunir, temps que cesse cette errance.

Après une marche forcée et un saut dans l’espace, nous avions établi notre campement près de la Tombe de la Désolation.
Nous parlions peu. Bien souvent, le silence régnait au sein de notre groupe, chacun essayant de se concentrer pour mieux entendre la voix des Fantômes. C’était encore le cas aujourd’hui, tandis que nous restions tapis à guetter la Tombe et, un peu plus loin, quelques silhouettes de Trõlls occupés à combattre un Elémentaire de Feu. La flamme vacilla. Les Trõlls avaient gagné la bataille.

Quand tout s’éteignit, ce fut comme si l’obscurité nous avait adressé un signe. Dans les ténèbres, nous nous approchâmes...

N’ayant pas remarqué le soudain accès de folie de Babe, je me tenais devant l’un des monticules, ne sachant trop comment procéder. Je me mis à creuser la terre, dans le silence sépulcral.
Une main se posa sur mon épaule.

– Il ne faut pas appeler la mort. Si on l’appelle, elle vient.

Me retournant, je découvris un Trõll maigre et replié sur lui même, un vieillard.

– Qui es-tu ?

– Je suis le fossoyeur de cette sépulture…

– Est-ce que tu connais les morts, leurs histoires ?

– J’en connais beaucoup, mais pas tout. Il ne faut pas oublier qu’on recreuse les tombes.
Sous les morts récents, il y a les anciens.
Même parmi eux, on trouve différentes générations, différents étages dans le jardin des morts…
Et il y a des voix qui chuchotent.

Ceci éveilla mon intérêt au plus haut point.

– Des voix ?
– Je ne crois pas aux fantômes. Mais j’entends bien que ça chuchote entre les tombes…

Je voulais lui poser d’autres questions mais il s’éloigna. Sa voix se perdit tandis qu’il disparaissait de ma vue, mais j’entendis encore cette phrase :

– Qui ose briser le repos des morts ?

– Nous sommes ce qu'il reste de l'Àrméé dés Fàntômés-Sõûvénïr... Des esprits marchent avec nous...

Après un long silence, le spectre ajouta :

– Des morts dans des corps en vie ? Des vivants habités par des esprits morts ?
Comment est-ce possible ?

– Ce serait, hum... trop long à expliquer... et le temps nous manque. Nous cherchons des informations sur la cité de Méntàhàl là Màûdïté. C'est pour ça que nous avons troublé le silence de ces lieux.

– Un service hein ? Et qu'est-ce que vous me donnerez en échange ?

Les choses n’allaient pas comme prévu… Mais qui aurait pu imaginer ça ?
En venant sur la Tombe de la Désolation, j’espérais vaguement obtenir à peu de frais des spectres présents sur les lieux qu’ils partagent leur mémoire… Au lieu de cela, voilà que l’un d’eux avait voulu quelque chose en échange de son aide. Et Babe avait proposé de l’accueillir en lui, de lui prêter son corps pour qu’il puisse s’en servir.
Avec la suite que l’on connaît : sitôt le transfert effectué, le spectre avait été dévoré par le Fantôme déjà présent dans le corps de Babe.

A présent, les autres membres de notre armée, voyant un échec dans cette tentative, nous avaient laissés seuls Babe et moi.
Je commençais à regarder le Fantôme de Babe d’un autre œil. Il était étrangement puissant, violent, possessif.
Maintenant, l’ombre du Durakuir dans mon dos ne me rassurait plus comme par le passé. Ce n’était plus uniquement la montagne de muscle que j’avais connu, cette présence sur laquelle nous avions tous l’habitude de nous reposer durant nos combats. Je réalisais véritablement pour la première fois que l’influence que Babe subissait dépassait de loin celle des autres Fantômes.

Je laissai là mes réflexions sur le sujet. Je n’acceptais pas cet échec. Tant qu’on était encore ici, il fallait qu’on essaye autre chose... le tout pour le tout.
Les spectres étaient silencieux, ils se terraient apeurés depuis qu’ils avaient vu le sort réservé au plus hardi d’entre eux. Je vis là une opportunité. Je lançai d’une fois forte :

– Ecoutez, vous qui dormez en ces lieux ! Nous n’avons pas pour habitude de traquer les spectres et de les détruire, mais les temps sont durs et l’urgence guide nos actes. A présent, répondez à nos questions, ou vous subirez tous le même destin !

Le silence me répondit. Je continuai :

– Votre existence ectoplasmique est peut-être misérable, mais c’est tout ce qu’il vous reste ! Si vous ne voulez pas retourner définitivement au néant, c’est le moment ou jamais de faire preuve de bon sens. Répondez ! Nous cherchons une cité perdue. Nous cherchons Méntàhàl là Màûdïté.

Comme pour appuyer mes menaces, on pu entendre un grognement lugubre de Babe dans mon dos.